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1 octobre 2019 2 01 /10 /octobre /2019 12:59

© textes et illustrations, sauf précisions contraires.

 

Ce blog n'étant pas conçu pour une étude longue, il faudrait commencer par la fin pour qu'il en respecte l'ordre logique, car il empile les articles dans l'ordre où ils sont frappés. Le premier chapitre est donc renvoyé en dernière position.

LA PECHE

EN ISLANDE, SUR LES BANCS ET AU GROENLAND

 

La morue

 

A la fin du XIXe siècle, on se rappelle le chasse-marée filant au galop des côtes de la Manche vers Paris, pour y amener la pêche la plus fraîche possible. Bien que le poisson soit une denrée très périssable, pour des raisons religieuses ou par habitude alimentaire, presque tous les Français de métropole et des Antilles consommaient de la morue. Et, pourtant, les cales frigorifiques n’existaient pas à bord des terre-neuviers.

En dehors des cales réfrigérées qui apparurent, sur les cargos, dans le dernier quart du XIXe siècle, on ne pouvait conserver le poisson qu'à l'aide des mêmes techniques que le porc tué dans les fermes, en le fumant, en le séchant ou en le salant.

Louis Lacroix précise qu’il existe plusieurs espèces de cabillauds, qui ne se mélangent pas. Les types consommés en France étaient celui des Bancs de Terre-Neuve, celui d’Islande et celui du Groenland. Cuisiné frais, ou entier sur l’étal du poissonnier, le poisson est appelé cabillaud et, salé, on consomme de la morue. L’obligation de manger maigre tous les jours poussa les moines à creuser des étangs autour des monastères et celle de faire vendredi maigre pour les simples croyants les mena à consommer des cuisses de grenouilles ou de la morue, à cause de son prix peu élevé dû à son abondance. On peut affirmer que, avant 1950, les camions frigorifiques étant encore relativement peu nombreux, seuls les Basques, les Bretons, les Normands, les gens du Nord et certains Parisiens consommaient du cabillaud, les autres de la morue salée.

Le MARITE  2  LA PECHE A LA MORUE

 

Dans l’Atlantique Nord, la morue a un dos verdâtre avec quelques points jaunes ; cette couleur s'atténue sur les flancs pour devenir presque blanche sur le ventre. C’est un poisson avec une tête volumineuse et comprimée, munie d’une énorme bouche, suffisante pour avaler un congénère. Ses yeux ronds et à fleur de tête, très écartés, paraissent un peu vitreux et ses dents sont mobiles comme celles du brochet. Il possède deux nageoires ventrales et trois nageoires dorsales. Il porte aussi deux barbillons tactiles presque translucides, placés sous la mâchoire inférieure, qui lui servent à trouver sa nourriture en fouillant les fonds de sable fin. La taille de la tête, environ un tiers du corps, est telle qu’en dessous de cinquante centimètres, la « moruette » n’était pas commercialement rentable. Dans la première moitié du XXe siècle, la taille moyenne des morues capturées variait de 0,50 m à 0,80 m pour un poids de 2 à 4 kilogrammes. Certains spécimens atteignent 1,50 m de longueur pour un poids de 50 kilogrammes au maximum, mais ils restent des exceptions.

D’après Louis Lacroix, on admet généralement que les morues doivent atteindre 0,10 m à un an, 0,20 à 2 ans, 0,30 à 3 ans, 0,50 à 4 ans, 0,70 à 5 ans, 0,90 à 6 ans. Malgré la surpêche, il existe des captures de 1,10 m qui peuvent avoir une dizaine d'années. La femelle, plus grande que le mâle, peut se reproduire à 5 ans.

La morue est un poisson migrateur, qui suit les bancs de calmars, aussi appelés encornets, mais elle ne dédaigne pas trois beaux tacauds, d’une taille suffisante pour en tirer de beaux filets, ou quelques bulots, surtout si ceux-ci ont été "généreusement" décortiqués d'un coup de talon par le pêcheur avant d’être traîtreusement piqués sur l’hameçon.

A l’époque de Marité, on ne savait pas vraiment où la morue passait l’hiver, car l’asdic n’existait pas et il ne sera utilisé, à titre encore très expérimental, pour la détection des bancs de poissons, qu’à bord de l’aviso polaire Commandant Charcot, de la Marine nationale, en 1949, pour sa première mission, avortée, vers la Terre Adélie. On supposait qu’un certain nombre de poissons quittait la région où ils se reproduisaient, mais il en restait en eaux profondes. Cependant, la longueur de la nuit et les tempêtes d’hiver ne permettaient pas aux pêcheurs français, trop loin de chez eux, de stationner sur les lieux de pêche, pour rechercher, d’une façon qui serait restée hypothétique, du poisson peut-être introuvable. Si l’on connaissait bien les habitudes de la morue pour frayer, on ne tombait pas à tout coup sur elle au bon endroit, même à la bonne saison, car, pour pondre, les morues recherchent une eau moins salée, entre 33 et 34 %, où elles se rassemblent en grand nombre. Mais, après la ponte, les morues affamées partent à la recherche de nourriture et se jettent sur tout ce qui se présente à leur portée, dans les petits fonds.

Le MARITE  2  LA PECHE A LA MORUE

Fumage traditionnel du poisson, par combustion lente de sciure de bois dans une barrique.

Association Les Voiles écarlates, Cherbourg.

 

Trente ans avant que Jacques Cartier explore le Saint-Laurent, en 1534, les Basques, les Bretons et les Normands pêchent déjà la morue sur les Bancs de Terre-Neuve, avec la base avancée de Saint-Pierre et Miquelon. Ce droit d’accès séculaire aux Bancs était et reste une source de conflit potentiel entre le Canada et les pêcheurs français. On se souvient de Joinville allant rappeler leurs droits à bord de la frégate La Belle Poule, avant de faire escale à New York et les derniers problèmes en date entre pêcheurs de Saint-Malo et les Canadiens ne remontent qu’aux années 1980.

Le 2 décembre 1994, un accord franco-canadien permet de répartir les ressources halieutiques et prévoit notamment un pourcentage attribué à la France sur la pêche à la morue. Il prévoit également de mettre en place une coopération régionale entre l’archipel et les Provinces canadiennes. En vertu de cet accord, des quotas sont attribués par le ministère français (en général dénommé de l’agriculture et de la pêche) aux pêcheurs français. Cet accord est arrivé à échéance en 2007. A l'heure actuelle s'ajoute un problème d'exploitation d'hydrocarbures sur le plateau continental, qui semble résolu par l'arbitrage d'un tribunal international.

Le MARITE  2  LA PECHE A LA MORUE

Intérieur de la barrique. Association Les Voiles écarlates, Cherbourg.

Photos prises avec l’aimable complaisance des membres de l’Association Les Voiles écarlates, Cherbourg.

 

Avant la guerre de 1914-18, douze pays fréquentaient les lieux de pêche de l’Atlantique Nord, produisant 930 000 tonnes, notre pays comptant dans ce chiffre pour 4%, soit 37 200 tonnes (détails et chiffres donnés par Louis Lacroix dans Les derniers voiliers morutiers terreneuvas, islandais, groenlandais, 1949). La Norvège, proche des lieux de pêche et pouvant produire toute l’année, arrivait en tête avec 360 000 tonnes, suivie de la Grande Bretagne avec 200 000 tonnes, puis venaient par ordre de production : l'Islande, le Canada, Terre-Neuve, la France, les Etats-Unis, l’Allemagne, le Danemark et les Féroé, la Hollande, le Portugal et la Suède. La proximité des lieux de pêche et les quantités produites permettaient aux premiers de fournir de la morue à bas prix et en grande quantité. L’apparition des chalutiers à vapeur, dans les années 30, d’abord utilisés comme chasseurs, puis se livrant à la pêche au chalut, fut la dernière cause de la disparition des armements pratiquant la pêche aux cordes.

Comme dans le porc, dans la morue, tout est bon. On utilisait les têtes et les intestins dans les casiers pour attraper les bulots, le foie était stocké dans des caisses étanches où il se décomposait, libérant l’huile qui surnageait au dessus du mélange eau et sang. On lit que l’odeur des baleiniers était insupportable mais il est permis d’imaginer que celle des cordiers n’était guère plus agréable. La morue ouverte et étêtée était immédiatement salée et stockée dans des tonneaux à Islande, dans les cales sur les Bancs et celle qui était immédiatement ramenée à terre était séchée au soleil, sur le sol ou même sur les toits, à la côte. La langue était un mets de choix. La laitance et la rogue étaient écrasés et, mélangés à de l’huile, utilisées par les pêcheurs de sardine pour attirer et maintenir les bancs. Les pêcheurs préféraient donc cet appât lorsqu’il était frais venant de Norvège, plus cher que celui des Bancs mais aussi plus efficace.

 

 

 

Dépeuplement des fonds marins et préservation de la ressource

 

En 1949, Louis Lacroix écrivait « Ce sont donc des centaines de millions de morues qui seront détruites désormais chaque année, et on se demande si, à cette cadence, les fonds de pêche ne seront pas dépeuplés dans un avenir prochain.

On constate déjà depuis une vingtaine d'années que la taille et le poids de chaque animal ramené par le filet ou les lignes sont en diminution constante. »

Le MARITE  2  LA PECHE A LA MORUE

Morue séchant sur les toits en Islande.

(J. B. Charcot, La mer du Groenland, 1929).

 

Les inquiétudes, nées de ce constat, ne sont donc pas récentes. On a alors pensé à des écloseries artificielles, avec des tentatives de fécondation et d’élevage qui n’ont, semble-t-il, pas abouti, pour la morue. Aujourd’hui, devant le danger de dépeuplement des fonds marins, les ressources sont étroitement surveillées, pas seulement pour la morue, et l’Europe fixe des quotas, voire interdit la capture d’une espèce pendant une période suffisamment longue pour permettre à celle-ci de se reproduire. Parmi les plus récentes de telles interdictions, on compte celle de la capture de l’anchois dans le Golfe de Gascogne et celle du thon rouge, en Méditerranée, et les quotas franco-canadiens autour de Saint-Pierre et Miquelon.

 

Le MARITE  2  LA PECHE A LA MORUE

Les maquereaux en cours de fumaison, avec la combustion de la sciure de bois au fond de la barrique.

(Animation par l’association Les Voiles écarlates, Cherbourg).

 

Le MARITE  2  LA PECHE A LA MORUE

Vieux pêcheur, sculpture de M. Lelong,

dans un morceau de l'un des anciens mâts.

 

LA PECHE AUX CORDES

 

Au début de la pêche à la morue sur les Bancs, on établissait une plate-forme entre les porte-haubans à l’extérieur du navire et les pêcheurs s’abritaient, autant que faire se pouvait, dans des tonneaux, formant une sorte de guérite. On pêchait alors à « la dandinette », avec une ligne à main, munie d’un plomb pesant entre 2,5 kg et 3 kg et de deux hameçons boëttés ou munis d'un leurre constitué par un faux poisson brillant. Les lignes étaient mises à l’eau du côté du vent afin de les empêcher de passer sous le bateau, sous l’effet de la dérive. Une fois que le plomb avait touché le fond, on remontait la ligne d’une ou deux brasses et on la dandinait pour attirer la morue, prête à se jeter sur tout ce qui se présente à elle. Ce manège durait toute la journée, interrompu uniquement à l’heure des repas. C’est ce système qui fut exclusivement utilisé sur les goélettes islandaises.

On peut imaginer la difficulté pour les pêcheurs de sentir la touche, d’une part, en raison du fond, et, d’autre part, du froid qui les obligeait à porter de grosses mitaines. Il fallait également veiller, autant que faire se pouvait, à ne pas mêler sa ligne avec celles des voisins. Si l’on peut considérer que la neige au mois d’avril est une rare exception sur les côtes de la Manche, elle est quasi quotidienne jusqu’en juillet, puis suivent le brouillard et les grosses tempêtes, avec une eau à 6 ou 7°, dans les régions où l'on pêchait la morue. Le nombre de marins ayant souffert de gelures aux mains et aux pieds parce qu’ils n’arrivaient pas réussi à rejoindre le bateau, en n’entendant pas la cloche, sur les Bancs est considérable.

Le MARITE  2  LA PECHE A LA MORUE

Le gréeur vient de fabriquer la corde de la cloche. Travail de matelotage.

 

Un bateau ne possède pas de cordes, à l’exception de ses lignes de fond, si c’est un cordier. Il n’y a que des bouts. (On prononce le t). Seule la cloche possède une corde.

Le MARITE  2  LA PECHE A LA MORUE

Boettage des hameçons avec des seiches, sur un cordier. Saint-Vaast-la-Hougue.

 

Le principe de la pêche aux cordes n'a pas fondamentalement changé, à ceci près que l'on tend celles-ci à partir du bateau et non à partir d'annexes ou de doris et que le treuil permet de les remonter dans des conditions moins pénibles. Le boëttage des hameçons se fait encore souvent à la main bien qu'il existe des machines pour le faire, en occupant une bonne partie du temps des équipages. (Le cordier cherbourgeois Précurseur fut un précurseur en cette nouvelle façon de pêcher aux cordes.)

Le MARITE  2  LA PECHE A LA MORUE

 

Ancres, gueuses et flottes, sur un cordier de Saint-Vaast la Hougue.

On aperçoit, à gauche, une "corde" soigneusement lovée et retenue par un bout capelé sur les anses.

 

 

doris portugais

doris portugais

Le plastique et le métal ont remplacé l’osier pour ces sortes de grandes lessiveuses appelées mannes, (maunes à Barfleur et Saint Vaast) du nom des grands paniers en osier auxquels elles se sont substituées. Chacune de ces maunes contient 1 200 m de corde. Les « tentis » des doris faisaient trois kilomètres deux cents de long, avec un hameçon tous les 1,80 m. Pourtant, pour les dorissiers, l’osier flottant, il présentait un seul mais sérieux avantage car ils se servaient souvent de leurs mannes comme ancre flottante, service que ce type en métal ou en plastique n’aurait pas pu leur rendre.

Le MARITE  2  LA PECHE A LA MORUE

Marie Madeleine, cordier du Cotentin, en carénage devant le chantier Bernard.

Ce document montre que, malgré ses mâts peu élevés, ce bateau était très toilé. Le bout-dehors est rentré. Marie-Madeleine a, depuis, fait naufrage sur une des îles Saint-Marcouf.

Le MARITE  2  LA PECHE A LA MORUE

Doris. La forme permettait de les empiler les uns dans les autres.

 

Les deux dorissiers partaient tendre leurs lignes, le soir, à bord de ces minuscules bateaux, qui, le lendemain matin, revenaient parfois pleins à ras bord, après avoir relevé les lignes. Cela se faisait le plus souvent à l’aviron, parfois à la voile.

Le MARITE  2  LA PECHE A LA MORUE

Doris empilés à bord de l'aviso Cdt Charcot, lors de sa première mission avortée vers la Terre Adélie (1949).

Détail  d'une photo prise par l'équipage, donnant une petite idée de l'état de la mer.

Reproduction numérique extraite du pré-rapport du Commandant Max Douguet, tiré à 250 exemplaires pour l’Etat-major.

 

LES BATEAUX DE LA PECHE HAUTURIERE

 

A Terre-Neuve, outre la pêche à partir de la grève, où un doris emmenait une extrémité d’un filet au large avant de décrire un arc de cercle, de préférence autour d’un banc de poisson, et de la ramener sur la grève, on pratiquait aussi la pêche côtière avec les warries. Ces bateaux, de types très divers, étaient de construction locale. La plupart, à fond plat, ressemblait à de gros doris. Armés par deux hommes, trois au maximum, ces petits bateaux avaient, en général, un rendement plus élevé que les goélettes pêchant sur les Bancs. Ils ramenaient quotidiennement leurs prises extrêmement fraîches à terre, où elles étaient traitées sur le chafaud.

A partir du XIX e siècle, on distingue deux types de pêche hauturière en bateau, celle qui se pratiquait à la dérive, du bord, « à Islande » et la pêche aux cordes tendues par des doris sur les Bancs et, plus tardivement, au Groenland. Les trois-mâts et Marité feront l’objet d’un chapitre particulier. Nous traiterons donc dans cet article, les types autres que les trois-mâts et nous laisserons de côté la pêche au chalut, même si elle fut responsable de la disparition des cordiers.

Avant 1780, les navires aux longs cours, de commerce ou de pêche, sont identiques, des engins ventrus, aux formes lourdes, avec une forte rentrée de la muraille et la plupart possède des canons. Le dessin d’un brick marchand de la fin du XVIIIe siècle, calque réduit d’un plan conservé au SHM de Cherbourg dans le Legs Bretocq, série S 2G3, suffit pour s’en convaincre. Il faut attendre les années 1830 que l’Etat vende ses bricks de guerre anciens pour trouver les premiers navires à voiles de commerce aux formes telles que nous les connaissons. Il n’y avait aucune différence entre la carène d’un brick et celle d’une goélette.

On choisissait le type de gréement selon l’usage que l’on voulait faire du bateau, et, surtout, l’aire géographique où l’on voulait l’utiliser, le brick, avec ses voiles carrées, pour les longues traversées avec des vents portants, la goélette pour louvoyer, mais aussi parce que ses voiles, dans l’axe longitudinal du bateau, étaient beaucoup plus vite opérationnelles que des voiles carrées. On pouvait aussi établir de petites voiles de cape, permettant au navire, en particulier « à Islande », de dériver tout en gardant un minimum de maniabilité.

A la fin du XIX e siècle, on trouve un certain nombre de goélettes saint-pierraises, de plus petite taille que les nôtres, entre cinquante et cent tonnes, appartenant souvent à des Canadiens français et avec un équipage composé en général du  « rebut » des matelots français, dont on n’avait pas voulu à bord de nos navires, dit clairement Louis Lacroix. Leur faible tonnage est un handicap car elles doivent rentrer fréquemment à Saint Pierre débarquer leur pêche, ce qui est une perte de temps. Les Bancs n’étant pas réservés aux pêcheurs français, on trouve non seulement de nombreux trois-mâts britanniques mais aussi des goélettes canadiennes et américaines qui donneront naissance au « blue nose » et à la célèbre compétition entre celui-ci et les goélettes américaines.

Si elles n’ont jamais pratiqué la pêche, il nous reste, cependant, grâce à la Marine nationale et à l’Ecole navale, deux magnifiques exemplaires de goélettes islandaises, l’Etoile et la Belle Poule.

Le MARITE  2  LA PECHE A LA MORUE

L’Etoile vient d’enrouler son hunier et s’apprête à affaler ses voiles.

Petite rade de Cherbourg, 2007.

 

                                  Longueur hors tout : 32,35 m

                                  Longueur entre perpendiculaires : 25,30 m

                                  Largeur : 7,10 m

                                  Déplacement : 214 tonneaux

                                  Tirant d’eau moyen : 2,10 m

                                  Moteur Sulzer 125 CV

                                  Vitesse au moteur : 6 nœuds

                                  Surface totale de voiles : 424,62 m2

 

Construites en chêne aux Chantiers de Normandie, les goélettes de l’Ecole Navale furent lancées en 1932. Elles sont conçues sur le modèle des goélettes islandaises qui pêchaient la morue le long des côtes d’Islande, passant environ six mois à la mer, avant de rejoindre leur port d’attache.

Les goélettes de Gravelines, Dunkerque, Granville et de Bretagne quittaient leur port en février ou début mars pour un voyage de dix à quinze jours, selon les vents et l’état de la mer, afin de se rendre vers l’Islande, sur les lieux de pêche. Les goélettes de Paimpol passaient à l’ouest de la Grande Bretagne et, souvent, de l’Irlande également, tandis que celles de Gravelines remontaient la Mer du Nord, en se servant, autant que possible, de l’abri de la côte britannique par fort vent d’ouest et de celui des pays scandinaves quand le vent soufflait de l’est.

On y pratiquait la pêche à la dérive, du bord et à proximité de la côte, sous voilure très réduite, mais prêt à mettre toute la toile si le vent forçait. Sur les goélettes en Islande, la pêche aux cordes tendues par des doris n’a jamais été pratiquée, du moins par les Français. Une fois pris à l’hameçon, le poisson ne séjournait pas dans l’eau. Il était immédiatement remonté. Le pêcheur arrachait la langue, qui était conservée, car elle était très prisée de certains amateurs et, le soir, le capitaine les comptait, afin de savoir combien de morues chacun avait pêché, la rémunération se faisant à la part. Il arrivait que le pêcheur doive de l’argent à l’armement à la fin de la saison. Rappelons que tout l'équipage pêchait, y-compris le patron, qui restait à l'arrière, tandis que tous les autres, répartis le long du bord, avançaient chaque jour d'une place vers l'avant.

A Islande, les hommes travaillaient du bord, à la dérive. Il fallait être au vent pour empêcher les lignes de passer sous le bateau. On imagine aisément à quel point il pouvait être pénible d'être exposé au vent toute la journée, à l'exception du repas de midi, à remonter une ligne d'une centaine de mètres et munie d'un plomb lourd. A cela s'ajoutait la défense d'une ou deux morues et l'obligation d'éviter de mêler sa ligne avec celle des voisins.

A l’origine, la goélette était une coque de 100 tonneaux mais on atteignit assez vite 200 tx, tonnage qui ne sera guère dépassé sur la goélette de pêche française. Le hunier et les voiles à rouleau évitant d’envoyer des hommes dans la mâture permettaient d’agir très vite lorsque l’état de la mer obligeait à quitter les lieux rapidement, la pêche se faisant très près des côtes. D’après Louis Lacroix, dans  Les derniers voiliers morutiers terreneuvas, islandais, groenlandais,  une goélette type faisait 200 tonnes, avec « une longueur totale de 35 mètres de l’étrave à l’étambot pour trois mètres de profondeur de cale, quatre mètres de tirant d’eau et sept mètres cinquante de largeur. » Les dimensions des goélettes de l’Ecole navale sont légèrement différentes : Longueur hors tout : 32,35 m, longueur entre perpendiculaires : 25,30 m, largeur : 7,10 m, déplacement : 214 tonneaux, tirant d’eau moyen : 2,10 m. Ajoutons ce que les goélettes de pêche n’avaient pas, tout l’espace disponible dans les cales étant réservé au poisson : un moteur Sulzer 125 CV donnant une vitesse de 6 nœuds. La surface totale de voiles est de 424,62 m2.

Le MARITE  2  LA PECHE A LA MORUE

Ketch Queen Galabriel.

 

Les goélettes de pêche embarquaient de 20 à 24 hommes, les officiers et le saleur logeaient à l’arrière, dans des « cabanes » près de la cabine du patron, tandis que les hommes, une quinzaine, logeaient à l’avant. A bord de La Belle Poule, le commandant peut surveiller la route de son bateau même quand il est couché car sa cabine, située à l’arrière, est munie d’un compas renversé.

 

 

 

On utilisa également des dundées et des bricks goélettes pour la pêche à Islande mais ils se révélèrent moins pratiques pour mettre en fuite devant le temps. C’est pourquoi ils restèrent moins nombreux que les goélettes. Par contre, on les utilisa comme chasseurs.

Le MARITE  2  LA PECHE A LA MORUE

La Boudeuse, au quai de Bercy, Paris.

 

L’un des concurrents en acier riveté des trois-mâts en bois. Lancé aux Pays-Bas en 1916, le bateau est d’abord un cargo jusqu’à la seconde guerre mondiale puis devient navire école suédois. Il est racheté en 2003 par Patrice Franceschi et immatriculé à Bastia. La coque porte manifestement les traces de son voyage de circumnavigation de trois ans, à la découverte de huit peuples de l’eau.  Ce type de bâtiment fut aussi utilisé comme chasseur, surtout par les étrangers, les Français étant persuadés que le fer donnerait le rouge à la morue, la rendant invendable.

UN METIER DE BAGNARDS

Le MARITE  2  LA PECHE A LA MORUE

Marité, avant bâbord, avant restauration.

 

 

On note la présence de casiers. D’un maillage beaucoup plus petit, ils servaient à attraper des bulots, (également appelés rans et « calicocos » à Cherbourg) et, sans doute, quelques homards. Un doris, appartenant en propre au capitaine, a été enlevé, en prévision des travaux. Le navire ayant été lancé sans moteur, le treuil mécanique, en partie visible à droite des casiers, est un ajout ultérieur. Il n’est pas conçu pour remonter la chaîne de trois cents mètres nécessaire au mouillage sur les Bancs. On évitait, autant que possible, d’avoir à la remonter car c’était une opération longue et fatigante et le temps qu’il fallait pour effectuer l’opération était autant de moins que l’on pouvait consacrer à la pêche. L’absence de moteur impliquait également une absence de lumière à bord et de chauffage correct. On s’éclairait avec des fanaux fumeux, dans un espace restreint, en particulier sous le gaillard d’avant.

Le MARITE  2  LA PECHE A LA MORUE

Avant tribord.

Sur les Bancs, Marité était certainement aussi bien rangée, la sécurité du bateau et de l’équipage en dépendait, mais certainement pas aussi propre.

 

Comme les autres trois-mâts terre-neuviers, Marité ne pêchait pas. Le bateau logeait l’équipage dans des conditions que nous allons voir et servait surtout comme une sorte d’entrepôt pour stocker le poisson. Nous avons voulu montrer que Marité est un clipper. On associe ce terme à une notion de vitesse. C’est exact mais insuffisant. Le clipper est un navire de commerce entièrement en bois. C’est, en fait, un cargo à voiles parfaitement adapté à ce qu’il doit transporter, et rapide, mais il s’agit d’une notion relative, car il était rapide par rapport à ses prédécesseurs. Il évoluera en clipper du thé, à carcasse métallique bordée en bois. Le terre-neuvier n’avait pas pour mission de transporter des chercheurs d’or le plus vite possible autour du Cap Horn mais de stocker, conserver et ramener le plus vite possible sa cargaison de morue salée. Si la vitesse n’avait pas d’intérêt particulier à l’aller, elle était primordiale au retour car les premiers arrivés vendaient leur pêche plus cher. On verra plus loin l’avantage, lié à cette notion de vitesse, que les pêcheurs tiraient de la voûte.

En général, le navire arrivait sur les Bancs sans « boëtte ». Pour s’en procurer, on se servait de casiers et de balances en filet, appelées « chaudrettes ou caudrettes », au fond desquelles on mettait du poisson ou de la viande salés, pour attraper un nombre considérable de bulots, puisqu’il en fallait trois par hameçon, multipliés par le nombre de doris. On ne pêchait avec cet appât qu’au printemps car la morue préfère le calmar ou encornet, et délaissait le bulot dès l’arrivée de ce dernier.

Afin de nous rendre compte de la vie à bord, faisons appel au rapport d'un médecin militaire du navire hôpital, chargé d'apporter assistance aux pêcheurs sur les Bancs, rapport cité par G. La Roërie dans le tome II de Navires et Marins (Librairie Rombaldi, Paris, 1946). Malheureusement, il ne mentionne ni le nom de l'auteur du rapport ni la date. Cette aide apportée par la Royale puis par la Marine nationale était déjà assurée par des bricks au XIXe siècle. Le commandant du Brick Beaumanoir, chargé de cette assistance, dit que les pêcheurs profitaient de la visite du navire de guerre pour échanger gratuitement du matériel usagé, emmené exprès, contre du neuf, aux frais de l'état, tout en reconnaissant les conditions de travail abominables de ces gens qui devaient parfois de l'argent à l'armement au retour.

Avant tribord.

Sur les Bancs, Marité était certainement aussi bien rangée, la sécurité du bateau et de l’équipage en dépendait, mais certainement pas aussi propre.

 

 

Le MARITE  2  LA PECHE A LA MORUE

 

Couchette à bord du Marité rénové. Photo Clément Chedmail, Patron.

 

Cette couchette n’a rien à voir avec les niches malpropres et pleines de vermine, contenant une paillasse, un matelas et des couvertures, sans draps, que le médecin décrit sous le gaillard d’avant. La chambre, à l’arrière, est réservée à l’état-major et les matelots les plus anciens, avec le saleur. Seul le capitaine dispose de sa très petite cabine, tenue dans un état de propreté qu’il qualifie de « relative ». Les récits concernant les baleiniers soulignent l’odeur qui les caractérisait à des milles à la ronde. L’odeur dans le poste ne semble guère plus agréable, car, pour faire la vaisselle, on jetait tout simplement les déchets de son assiette sous la longue table du poste. La venue du navire garde-pêche ou du navire hôpital était l’occasion de faire un minimum de nettoyage. Le médecin souligne que les bateaux américains et canadiens étaient, au contraire, parfaitement tenus, ce qui évitait aux équipages de connaître certains désagréments trop fréquents sur les navires français.

Marité, partie du poste arrière, avant restauration

Marité, partie du poste arrière, avant restauration

 

En ce qui concerne la nourriture, la morue constitue le plat de base, surtout les têtes : “ Préparée sous des formes diverses : frite ou bouillie, en ragoût, en ciboulette, elle est accompagnée de pommes de terre ou de haricots secs. Parfois, pour varier le menu, on y substitue le flétan, la raie ou le balai, sorte de grosse plie qui abonde sur les Bancs. Mais, d'une manière générale, les pêcheurs n'aiment pas à encombrer leurs doris de faux poissons qui ne leur sont pas payés, et préfèrent la monotonie de l'ordinaire à une minime perte de temps. Le jeudi, un repas de lard, et le dimanche un repas d'endaubage constituent les seules distributions de viande“  Au printemps, l’ordinaire était amélioré, si l’on peut dire, par l’arrivée de palmipèdes marins se nourrissant des déchets saturés d’huile que l’on jetait par-dessus bord. Un hameçon traîtreusement piqué dans quelques-uns permettait de “pêcher“ dadins, poules mauves, cordonniers et autres palmipèdes, dont la consommation, si on ne les dégraissait pas, provoquait invariablement, à cause de l’huile, des crises de diarrhées, assez mal venues sur un terre-neuvier et des doris. N’ayant pas de four à pain à bord, on consommait le biscuit de mer.

Le médecin insiste également sur les quantités importantes d’alcool consommées journellement à bord : “La ration normale est quatre à cinq quarts de vin rouge par jour, plus un quart de vin blanc et un boujaron d'eau-de-vie le matin. En outre, en diverses occasions, la double de vin est attribuée facilement, de telle sorte qu'en moyenne, on peut calculer qu'un pêcheur absorbe largement plus d'un litre et demi de vin par jour. Sur les navires de Fécamp, les hommes ont, en outre, du cidre à discrétion“. L’eau douce ne coule pas à flots sur les Bancs et la conserver plusieurs mois était quasiment impossible. Le problème n’existait pas sur les bateaux américains et canadiens, plus petits, qui rentraient régulièrement au port pour débarquer leur pêche.

Outre les accidents liés à la pêche, le médecin dénonce les remèdes “de bonne femme“ utilisés par les pêcheurs pour se protéger contre le chou des Bancs, aussi appelé fleur d’Islande. Il s’agissait d’une irritation des poignets due au frottement du ciré sur la peau. Au lieu d’utiliser des gants en caoutchouc comme les Américains, le pêcheur français utilisait une chaînette en cuivre ou un bracelet de cuir, qui, une fois saturé de sel et autres résidus, avait le même effet que le ciré.

D'après G. La Roërie, le rapport signale également que certains marins ne possèdent que les vêtements qu'ils portent sur le dos et qu'ils ne quittent jamais ni ciré ni bottes, même pour dormir, mais au XXe siècle, on ne pratique plus la bannette chaude, où un marin quittant son quart remplace dans la couchette celui qui lui succède, (principe qui était encore utilisé sur les sous-marins conventionnels et disparu, en France, sur les sous-marins nucléaires). Assez exceptionnels sont les bateaux français propres et bien tenus, contrairement aux navires américains et canadiens, ajoute le médecin.

 

Avant l'adoption du moteur diesel, l'équipage devait virer à bras les trois cents mètres de chaînes tendues sur l'ancre par la masse du bateau, la prise au vent, le courant et les vagues, ce qui représentait une corvée particulièrement pénible de plusieurs heures, considérées comme perdues pour la pêche. C'est pourquoi ni l'équipage, ni le capitaine, payés à la part, n'aimaient répéter cette opération trop souvent. L'adoption, très tardive, du treuil mécanique représentait donc un énorme progrès à bord, mais il était déjà trop tard pour sauver ces bateaux.

 

Le MARITE  2  LA PECHE A LA MORUE

Treuil démonté. Un outil de ce genre dès le début aurait grandement facilité le sort de l'équipage.

Le MARITE  2  LA PECHE A LA MORUE

Cuisine de Marité. (Avant restauration).

Le MARITE  2  LA PECHE A LA MORUE

Le Titanic.

La photo ne peut être que d’origine anglaise ou représenter Olympic, sister-ship de Titanic, car il faisait nuit lors de l’escale du paquebot à Cherbourg. Les morutiers et les doris ne pesaient pas bien lourd contre ces géants, lancés à toute vapeur vers les Etats-Unis.

Les accidents dus à la pêche

 

On trouve de nombreux panaris provoqués par les piqûres des arêtes ou des hameçons. Quand l'un d'eux s'enfonçait dans la main, ce qui n'était pas un accident rarissime, l'ardillon empêchant de le retirer par le chemin où il était entré, on devait scier l'œillet ou la palette et faire ressortir le reste de l'autre côté de la main qui se trouvait totalement transpercée. Avec l'hygiène à bord que mentionne ce médecin, on peut imaginer que l'infection trouvait vite sa voie dans de telles blessures.Il n'était pas exceptionnel, non plus, que le pêcheur piqué par un hameçon soit entraîné par dessus bord par la ligne et, même s'il réussissait à s'accrocher d'une main au bord, de le voir lâcher prise sous l'effet de la douleur. Les amputations d'un doigt ou d'une main étaient relativement courantes. Comme on n'embarquait pas de chirurgien, elles étaient en général pratiquées par le capitaine, sans anesthésie, mais avec beaucoup d'alcool ingurgité par le patient. Les amputations pouvaient également être provoquées par des gelures. Malheur aux canotiers qui n'arrivaient pas à rejoindre leur bord, en particulier à cause du brouillard. Errer plusieurs jours dans cette mer glaciale menait très souvent à la mort, sauf si l'on avait la chance d'être récupéré par un autre navire en pêche ou se déplaçant dans ces parages. Le bateau quittait Fécamp pour les Bancs, pour une traversée de trois semaines environ. L’absence de moteur impliquait un remorquage pour sortir du port. Les bateaux quittaient la France vers la mi-février, afin de se trouver, après une longue traversée, qui n’était pas exempte de dangers, sur les Bancs ou en Islande, au moment où la morue arrivait pour pondre Les terre-neuviers étaient confrontés non seulement aux tempêtes mais, également, aux risques de collision avec les cargos et les transatlantiques, fonçant, souvent dans le brouillard, vers l’Amérique. Le radar, qui, malheureusement, n’exclut pas les risques de collision si personne ne veille à la passerelle, n’existait pas encore et la radio non plus, sauf sur les tout derniers terre-neuviers. Le danger venait également des icebergs, qui descendent, nombreux, sur les côtes canadiennes jusque vers les Etats-Unis. La fin du Titanic, connue de tous, illustre tragiquement à quel point ces glaces dérivantes pouvaient être dangereuses. A cela s’ajoutait la perte de doris dans le brouillard. Quelques matelots étaient récupérés par d’autres bateaux mais on eut à déplorer de nombreuses disparitions. Les 44 000 morts et disparus méritent bien ce bateau souvenir.

 

Le MARITE  2  LA PECHE A LA MORUE

Marité a connu la neige sur les Bancs.

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